La zone d'intérêt - Jonathan Glazer (2023)



S'il y avait une image à retenir de ce film, la scène où le maître des lieux observe les enfants jouer dans la piscine pendant que fument les cheminées du camp en arrière plan figurerait en bonne place. 80 ans après, il ne reste plus grand-chose à faire pour découvrir cette période dont on connaît tous les contours sauf à faire l'effort de maintenir intacte l'abjection qu'a représentée la Shoah pour les générations et pour l'Histoire humaine en général. Les blasés et les antisémites pourront toujours trouver ça obsessionnel ou faire appel à la résilience mais les appels actuels aux pogroms montrent qu'on a tendance à gommer rapidement de nos esprits ce qui nous dérange et de faire comme si le temps avait tout réglé. Dans ce cas, il convient d'activer la mémoire, de faire et refaire, toujours, et de trouver des stratagèmes pour que rien ne s'efface. 

Il y a quelques années, le Fils de Saul de Laszlo Nemes nous avait déjà secoué par sa réalisation athlétique, tout en plan serré nous permettant d'être presque au coeur de l'action. Avec La zone d'intérêt, Jonathan Glazer choisit de s'en éloigner, pour se concentrer sur le potager et la vie intolérablement tranquille de Rudolf Hoss, directeur du camp d'Auschwitz et de sa famille, à l'ombre des miradors et des murs de clôture que traverse à peine le bruit des exécutions et du ronflement des fours crématoires, en action H 24. Le matin papa part au travail, pendant que maman prépare les enfants pour aller à l'école. Le quotidien banal dans un environnement qui ne l'est pas. Ce n'est pas que Glazer se fiche de l'extermination qui se déroule au fond du jardin mais le focus sur Hoss amène quelque chose de glaçant, où l'anormal devient la normalité, où l'extermination des juifs relève davantage d'un problème technique que d'un problème de conscience. Pour Hoss comme pour Eichmann, la Shoah c'est un boulot qu'il convient d'accomplir avec le zèle qui convient et de la meilleure manière possible pour se faire bien voir de la hiérarchie. Peu importe si cela implique la mort de millions de personnes. La réussite sociale passe aussi par là et se retrouver dans le rôle de dominateur - la femme de Hoss faisait sans doute partie du prolétariat et travaillait pour des personnes qui ont fait l'objet de sélections dans les camps - est perçu comme une revanche sur la vie, peu importe si cet état de fait signe l'arrêt de mort de toute dignité.   

En jouant avec les codes inversés du genre - il fait toujours beau, l'univers concentrationnaire est relégué au second plan - Glazer ne se rend pas la tâche facile mais réussit à donner à l'ensemble une ambiance malsaine conforme au propos qu'il souhaitait donner à son oeuvre. En accordant une place importante aux odeurs que l'on devine à travers les réactions de la mère de Hedwig, au son, même s'il faut parfois tendre l'oreille, l'omniprésence du ronflement des fours crématoires - à la manière de Lynch dans Eraserhead, la comparaison s'arrête là - nous ramène à cette réalité qui a contribué à rayer de la carte des vivants des millions de personnes. 

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