Ne croyez surtout pas que je hurle - Frank Beauvais (2019)

 

Ne croyez surtout pas que je hurle
est le journal intime d'un gars dont on ne verra pas le visage mais dont la voix nous accompagnera tout le long du film. L'amour d'un autre l'a entraîné dans un petit village d'Alsace, fuyant Paris. Depuis, cet amant est parti, laissant le narrateur avec ses souvenirs mais aussi avec le silence, le calme, l'ennui qu'il cherche à combler en matant des films à longueur de journée. Dehors, dès le pas de porte c'est le no man's land, celui des personnes à l'esprit étriqué auprès desquels il ne se reconnaît pas et avec qui il n'a pas envie de tisser une quelconque relation. 

Ne croyez surtout pas que je hurle est un cri de colère malgré tout. Tour à tour l'auteur y exprime la rage des atrocités qui s'exécutent sous ses yeux (attentats, crises migratoires, guerre...), le renoncement devant cette avalanche de faits qui nous renvoie à notre propre impuissance, peut-être aussi à notre lâcheté d'affronter réellement tout ça car pointer de loin les mauvais fonctionnements du monde ne suffit pas, ne doit pas suffire si l'on n'agit pas derrière - et il y a des centaines de raisons de ne pas agir. Frank Beauvais dresse un regard lucide sur notre indignation qui se superpose également aux questionnements existentiels - car il faut bien vivre aussi - à noyer notre incapacité, notre volonté potentielle dans un quotidien qui nous engloutit progressivement ou qui nous brûle à petit feu (choisissez la métaphore de supérette qui vous plaira) en attendant la main providentielle du destin qui parviendra à nous en sortir ou, au contraire, qui nous appuira sur la tête pour accélérer la descente.

Pour la réalisation Frank Beauvais a visionné plus de 400 films dont il a extrait les rushes qui composent Ne croyez surtout pas que je hurle pour en faire une oeuvre rare, unique. Tantôt illustratifs, tantôt plus suggestifs, le montage minutieux et la brieveté des séquences fait qu'il est impossible de reconnaître les films utilisés ce qui permet aussi de lui donner une homogénéité qui fluidifie sa continuité. Pour l'occasion la projection avait été habillée par une bande-son, inexistante dans l'oeuvre originale, exécutée en live par Michel Cloup (Diabologum, Experience). Jamais trop intrusive, elle essaie avec succès de donner au film une teneur plus émotionnelle, d'appuyer sur les faits (colère, tristesse, indignation, rêverie...) à laquelle la scansion monocorde du narrateur ne permet pas toujours de parvenir. 

Visionné le 21/11/2023 dans le cadre du festival SYNCHRO de la Cinémathèque de Toulouse.

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