Ce que l'on n'attendait plus

Le constat est amer mais, il faut bien l'avouer, en quinze jours les gilets jaunes auront presque plus gagné en visibilité quand des années de mobilisations d'inspiration libertaire, pour résumer, n'auront uniquement permis que de nous connaître, voir qu'on n'était pas contents, sans jamais trop parvenir à le faire savoir. Les raisons sont multiples, le durcissement des moyens de répression, l'envie aussi de ne pas mélanger les chapelles n'ont pas permis d'aller au delà de certaines limites, d'attirer l'attention sur les causes à défendre, quand quelques gilets de route sont peut-être en train de déclencher la colère que tout le monde attendait.
Peut-être qu'on n'a pas pris le combat par le bon bout. A la base, l'augmentation du prix de l'essence. Certes, le prétexte manque peut-être un peu de grandeur, mais il touche directement les gens du peuple et, par là même, la majorité. Il faut se rendre à l’évidence. On a fini par se faire dépouiller de tout, même des idées qui donnaient un sens à nos vies : le combat contre le sexisme, l’homophobie, l’extrême droite et j’en passe. Parce qu’en nous attaquant directement au portefeuilles, ils s’attaquent à ce qui nous permet de survivre et qu’un estomac vide ne se bat que pour tout ce qui permet de le remplir. Du coup, on passe notre temps à défendre des choses, mais on n’a plus le jus pour en gagner d’autres. C'est pour cette raison qu'actuellement on ne peut plus se payer le luxe de manifester pour autre chose que pour le pain ou les radars sur les routes. Voilà où l’on en est.
Alors bien sûr, on trouvera de tout chez les gilets jaunes, même des gens aux antipodes de ce pourquoi l’on se bat habituellement. Sincèrement les premiers échos du soulèvement m’ont fait gerber. Les arrestations et les livraisons de migrants ou les agressions homophobes sur les checkpoints ne m’ont pas incité à autre chose qu’à de la haine pour ces alliés de la police. Mais il y en a aussi qui partagent les mêmes aspirations que nous. Pareil que lors des manifestations traditionnelles, en somme, mais là il me semble que l'on est moins regardant. Il faut prendre ce soulèvement pour ce qu’il est véritablement : une jacquerie des temps modernes - depuis le temps qu'on raille le train de vie et le fonctionnement monarchique de l'état français, fallait bien que ça arrive. Et à côté, les formations traditionnelles syndicales, les partis politiques traînent la patte pour y adhérer. Parce que cette jacquerie n'est pas la leur, qu'ils n'en sont pas les instigateurs, qu'ils se sont laissés dépasser, griller la politesse même sur un terrain qu'ils ne connaissent plus, celui de la rue et de la contestation pure et simple. Après nous avoir bassiné pendant des années avec la légitimité démocratique et le combat par les urnes, l'alternance politique entre les grands partis de gouvernement, tout le monde s'était fait à l'idée que les électeurs accepteraient le jeu de la patate chaude ad vitam eternam. Sauf que non. Celle-là personne ne l'a vue venir. Alors, pas étonnant que les grandes formations ne sachent plus comment faire. D'autant plus lorsqu'on a affaire à une troupe déterminée qui a déjà montré qu'elle ne se ferait pas récupérer par quiconque. A Toulouse et à Lyon, certains fafs en ont été pour leur frais et ici ou là on note déjà des points de convergence avec les luttes que nous avons l'habitude de défendre. 
Alors, pourquoi ne pas en profiter ? Pourquoi se montrer aussi frileux quand le terrain est propice ? Il ne l'a jamais autant été. Surtout que les lycéens et même les collégiens s'en mêlent également. L'occasion pour une émulation de grande ampleur surgit et les édiles ne sont pas loin de se laisser déborder, lâchant leurs dernières cartouches. Mais nous aussi on traîne la patte. Le temps qu'on décrypte véritablement qui se cache derrière tous ses manifestants, notre tour sera passé. Et pas un de nous n'aura eu l'idée/la volonté de profiter de l'occasion. Il y a quand même pas mal de condescendance de notre part de ne pas vouloir se mêler à ce mouvement. On s'en défendra tous mais là aussi c'est une affaire de classe et, quoi qu'on en dise, la perspective de se retrouver avec des personnes qui n'ont à défendre que leur pouvoir d'achat freine notre envie de se mêler à la contestation. Nous avons sûrement tort et pendant que nous cherchons encore à comprendre ce qui se passe, d'autres ont déjà compris que le salut passera certainement par là. Et encore une fois nous resterons à quai. 
Nous sommes à un tournant. La question essentielle est comment pourra t-on être crédible après tout ça ? Comment réussira t-on à attirer l'attention alors que nous sommes restés en observation quand la situation demandait de passer à l'action ?


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