Japon - du 1er au 15 août 2015

Tokyo. On a dû prendre huit heures de jetlag dans le museau, je sais plus. Le trajet de Narita à Tokyo dure 1.30. Du coup on a le temps de voir les premières forêts de bambous entre les urbanisations que j'aurais cru plus denses. La chaleur qui nous accueille à la sortie est suffocante. A Shibuya, on est pris en charge par un monsieur tout gentil qui nous indique le chemin et la méthode pour se servir des consignes. J'attends le moment où il va nous demander du pognon ou nous vendre un truc, mais non. C'est l'occasion de nous rappeler que le Japon a un jour été la quatrième puissance économique du globe et que les relations ne sont pas toujours vénales. A la fin de la journée on se sera aperçu qu'on aura plus parlé en un jour avec les japonais qu'en quinze avec les vietnamiens. Au sanctuaire Meiji, élevé en l'honneur de l'empereur du même nom, on croise de tout, même des gens en habit traditionnel. A l'entrée, un petit bassin à l'intérieur duquel il faut se laver les mains et la bouche avant de passer le portique. L'espace est grandiose, simple d'aspect, entouré d'un jardin d'iris et d'azalées. 

Libation au sanctuaire Meiji
On rejoint Matt notre hôte du jour à Shimokitazawa, un quartier résidentiel pour une douche et une sieste de deux heures. Pendant qu'on transpire avec nos sacs à dos, une équipe s'exerce au base-ball sur le terrain du quartier sous une canicule du tonnerre. L'ambiance est très paisible, comme dans un village, le matin les habitants se réunissent dans le jardin pour faire leur gymnastique. On se rejette dans la mêlée, et partons explorer le quartier de Shibuya. Au croisement ça gueule de partout, d'immenses écrans télés nous surplombent et on passe un bon moment les yeux en l'air. Tokyo est gigantesque mais si l'on veut être vu, c'est là qu'il faut être. En remontant les rues, on croise une manifestation contre une guerre, menée et encadrée par des flics et une mamie tente de m'expliquer les raisons avec des gestes et des sourires à côté d'une smoking zone. En ville, il est mal vu de fumer dans la rue. Du coup les gens se retrouvent dans des espaces confinés, délimités par du plexiglas, serrées comme des moules sur un rocher. En revanche dans les bistrots et les restaurants, pas de problème tu peux enfumer ton voisin sans souci

9.00 du matin et déjà 36°. Hier matin on est allé au marché aux poissons de Tsukiji un peu tard. La criée était terminée et du coup l'ambiance avait largement baissé. Dans le quartier, un petit sanctuaire permet aux pêcheurs de prier pour que leur pêche soit bonne. Autour du marché, d'innombrables petites échoppes refourguent le poisson du jour. Zanmai propose un étalage de sushis devant notre nez. Derrière le comptoir une dizaine de cuisiniers s'affairent et remercient le client tous en chœur quand il y en a un qui entre ou qui sort. L'après-midi, on restera pas longtemps à Ginza, gros quartier sans âme alignant les mêmes grosses enseignes que l'on retrouve en Europe. On traînera davantage à Shinjuku avec ses gratte-ciels et son Park Hyatt. Mais rien ne vaut Shibuya que l'on rejoint le soir pour bouffer. On passera deux heures avant de trouver un excellent restau vegan où l'on mangera à côté de Barney de Napalm Death. 

Manif à Shibuya
Tokyo est une ville déconcertante. Ça a beau être une des plus grandes urbanisations du monde, on est loin du bordel qu'on peut rencontrer à Paris ou même à Toulouse. Il est même assez facile de s'isoler quand on a marre de voir des gens. Ueno est le seul quartier ancien que les séismes et les bombardements ont épargné. Un grand parc où les terrains de base-ball côtoient les temples shinto et bouddhistes, un cimetière impérial et un lac envahi de nénuphars comme pour rappeler que les japonais ont essayé de trouver en hauteur ce qu'il leur manquait sur terre : l'espace. Pour se déplacer, la marche à pied reste le seul moyen car, même si le réseau du métro est très dense, on finit toujours par crapahuter pendant des centaines de mètres pour rejoindre les stations. Impossible donc dans ces conditions de ne pas passer la soirée dans un onsen, celui de Sakura, espace thermal où tout est feutré, tranquille, loin du tumulte d'Ameyoko, marché qui longe la voie ferrée et qui ferait passer le Perthus pour une épicerie de village. Ici on se baque à poil dans des bassins de flotte à 40° et il est mal vu d'entrer dans l'eau avec la crasse collée au corps. Il est alors vivement conseillé de passer à la douche juste avant. On fait ses ablutions assis sur un tabouret, avec sa brosse à dents et son rasoir jetable. Uniquement après ça, on peut aller se tremper dans les bassins, mais attention. Si on se retrouve pas les noyaux collés au fond de la piscine dans celui à 38°, on risque d'en perdre un dans celui à 18°. 

Hiroshima. 70 ans après, on a tendance à sous-estimer le risque nucléaire. Pas à Hiroshima où l'on tombe sur les commémorations du 70° anniversaire. Pendant que les bouddhistes psalmodient devant Genbaku Dôme, les babos déclament des textes sur la bombe. Sur l'esplanade, sous les camphriers, quelques expos et des images explicites mais rien de complètement défaitiste. La ville semble avoir tourné la page, reconstruite entièrement et tournée vers l'avenir. Le musée présente une expo sur la bombe, avec des reconstitutions, des objets témoins et une grosse maquette surplombée par une boule rouge matérialisant la boule de feu qui a surgi après l'explosion. On avance à petits pas, la foule est dense, certains prennent des photos des pathologies post nucléaires, on a du mal à comprendre pourquoi. Un coup de tramway nous amène directement au château, reconstruit après avoir été détruit en 1945. On fait machine arrière afin d'éviter les assauts des moustiques et on rentre sur la gare. Ce soit c'est trajet en Shinkansen, direction Osaka. La côte Est à plus de 300 km/h. On atterrit dans un capsule hôtel près du métro, oasis de bien-être au cœur de la jungle urbaine. Après un bain au spa, on goûte quelques udons au restau qui fonctionne tout la nuit pendant qu'une demi douzaine de japonais glandent dans la salle de bibliothèque qui jouxte les tables. On découvre la chambre après. Deux mètres carrés à tout péter, mais tout le confort, la clim, la TV, la radio et l'alarme incendie. Mais le gabarit japonais n'étant pas celui des européens, je passe la nuit avec les pieds qui pendent dans le couloir.

Osaka/Nara. Le Japon c'est aussi Framtid, Disclose, Ferocious X, bref, le punk et toute une jeunesse qui ne se satisfait pas de tout ça. C'est aussi une nation qui se voit sans trop d'avenir, avec le taux de suicide le plus élevé du monde. Alors pour conjurer le sort, il y a le d-beat, extrême jusqu'à l'absurde. Au Namba, on est la touche exotique de la soirée. On se sent regardés, une curiosité mêlée de tendresse. Osaka semble de dehors beaucoup plus fashion que Tokyo comme en témoigne le gigantesque quartier de Dotombori, où des milliers de personnes déambulent sous les arcades qui protègent de la chaleur épouvantable qui nous absorbe. Quelques petits résidus de la vieille ville se pointent ça et là, au bout d'une petite rue, au cœur d'un quartier sans qu'on s'y attende. En fin d'après-midi, on prend l'air en direction du château de Hideyoshi Toyotomi, qui a unifié une grande partie du Japon. Au quatrième étage du donjon, on domine une partie de la ville. 
Kyumizu-dera
A 30 mn d'Osaka, Nara étend son aura mystique. Le parc est grandiose, occupé par des daims apprivoisés qui ont eu vite fait de comprendre que c'est en approchant des gens qu'ils auraient à bouffer. Certains commerçants en profitent pour vendre des gâteaux qui leur sont spécialement destinés. Le nombre de temples qui existaient avoisinait les 175 il y a quelques décennies. Il en reste encore un bon paquet et le vélo n'est pas de trop pour joindre les sites. Le point d'orgue est le Daibatsu, temple bouddhiste superbe qui renferme un bouddha de bronze énorme, trônant entre ses deux attendants. En fin d'après-midi, on est chassé par un orage. On attendra sagement qu'il passe sous le couverts près de la gare.
Pour le dernier jour à Osaka, on prend un bain de mangas chez Animate. Tout le merch des dessins animés est décliné en porte-clefs, ronds de serviette...On passe ensuite deux plombes à chercher un disquaire que m'a conseillé un copain, pour finalement le trouver dans un soubassement glauque, grand comme un placard.
Vieux japonais en habit de cérémonie

Kyoto. A Kyoto, le meilleur moyen de se déplacer reste le vélo. Du moins lorsqu'on atteint Gion. Si Nara était un ravissement pour les yeux, Kyoto atteint des sommets. Des temples à profusion, des tapisseries de toute beauté et des jardins merveilleux où déambuler pieds nus procure un bien fou (Kennin-Ji). Mais rien de comparable avec Kiyomizu-dera, ensemble époustouflant de plusieurs temples, baignés aux pieds par une fontaine où les gens font la queue pour des libations. Dans le jardin, un couple entonne des chants anciens japonais pendant que les cigales continuent leur sabbat. On se paie une cérémonie du thé privé, un condensé de 40 mn de douceur et de fraîcheur pour  un rituel qui en dure au moins quatre. 
On reprend les vélos le lendemain pour un tour sous les arcades du centre. Aujourd'hui c'est la fête des morts et quasiment aucune boutique n'est ouverte. On tombe sur un temple bondé de gens qui viennent justement rendre hommage à leurs anciens, sonner des cloches, faire des vœux pour le bien-être des leurs dans l'au-delà. Vu de l'extérieur, le rite n'a rien de funèbre, au contraire, entre les fumées d'encens et les sons de cloche, on y voie même quelques chose d'apaisant. On passe la soirée dans Gion, dans une échoppe tenue par un vieux couple avant de repartir dans l'allée de Pontocho, minuscule artère au delà du quartier, qui borde la rivière qui ce soir-là était illuminée.



Cimetière de Yanaka

Tokyo. Aujourd'hui j'ai passé le trajet de Kyoto à Tokyo le nez collé à la fenêtre du train. Devant moi défilaient les vies anonymes de Nagoya, Yokohama, dont je percevais l'existence dans de petits rectangles qui illuminaient la nuit. Pendant que Céline roupille à côté, je me remémore notre journée d'hier. Pas exceptionnelle au niveau des visites, celle du château Nijo, ratée parce que c'était fermé, celle du musée du manga qui, en fait, n'est qu'une grande bibliothèque, pas des plus intéressants quand tu sais tout juste dire bonjour en japonais. Ajouté à cela, le fait que la police nous aient obligé à courir à travers la ville pour récupérer les vélos qu'elle avait embarqués. On s'est adressé directement aux flics qui ont bien passé 20 mn pour appeler à droite et à gauche sur les possibilités pour nous de récupérer le vélo. Jusque là le Japon ne nous avait pas habitué à l’aléatoire. 
Le lendemain est plus zen. On revient au marché aux poissons, un peu plus tôt mais à l'heure où l'on arrive c'est encore raté. On fait quelques boutiques pour trouver un fouet à macha et quelques tasses à thé. A midi, on s'engouffre dans un restau pour échapper à la chaleur qui devient atroce. Chez Zanmai, la bouffe tourne devant vous sur un tapis roulant et un petit robinet personnel vous refile de l'eau chaude pour le thé. Chaque plat correspond à un tarif et quand vous avez fini de bouffer le serveur scanne les plats vides. L'après-midi a été réservée au shopping. On finit claqués dans un ramen de Shibuya. Parler avec les japonais est pas toujours évident. On s'imagine que tout le monde comprend l'anglais mais c'est loin d'être le cas. Pourtant on sent que les japonais sont curieux de tout et très liants, en plus d'être d'une incroyable courtoisie. 

A Senso-ji c'est la foule des grands jours pour cette fête des morts. L'allée des boutiques qui y mène est bondée. Arrivé au temple principal, on ne trouve pas la statue de Kannon qui a valu l'érection de ce sanctuaire. Pendant que les croyants se recueillent, un manège surgit de temps en temps au-dessus du toit. On se dirige vers la skytower avec la ferme intention d'y monter mais, vu le prix exorbitant et l'attente, on opte pour le quartier de Yanoka où l'on chope du saké. Le soir c'est onsen à Sakura où l'on a pris nos habitudes. Un serveur se prosterne devant un client parce qu'un des produits demandés n'est pas en rayon. Côté politesse, les commerçants en font des caisses, ça en devient même gênant. Les japonais semblent ne pas tellement y faire attention.   
La Skytower

On a failli rater l'entrer du musée Ghibli. On pensait avoir fait le plus dur en prenant les places au Lawson avec une japonaise pour traduire les mises en garde de la machine mais finalement c'est revenu au même. Au lieu de nous sortir des places pour le 14 août, elle étaient valables pour le 14 septembre. On pouvait se gratter mais après avoir parlementé à l'entrée, on a pu s'arranger avec la responsable. On dirait pas mais on arrive toujours à plus ou moins s'arranger au Japon. On est loin de l'image psycho-rigide qu'on peut avoir d'occident. A l'intérieur du musée, un monde enfantin mis en scène avec les moyens cinématographiques du début du siècle à nos jours avec en point d'orgue un immense chat-bus en peluche de Totoro, à l'intérieur duquel une demi douzaine de gamins font des cabrioles sous la surveillance d'un guide. Ajouté à cela, un court métrage tout mignon de Miyazaki. Le matin on a fait un tour à Shimokitazawa, sorte d'east village japonais, bobo, sympa comme tout. 

Le jour du départ c'est la panique. Comme c'est férié, le trafic est divisé par deux et on fait trois stations de métro pour nous entendre dire que le train qui relie à Narita arrivera trop tard. Du coup on s'enquille un taxi qui file à tuberzingue sur l'autoroute et la campagne pour nous faire arriver à l'heure à l'aéroport. L'air de rien on se paie un final genre Lost in Translation. 

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