Shooters # 6


En temps normal, j'aime bien l'idée de vagabonder sur les landes océaniques, le nez dans le vent et le visage parfois fouetté par la brise marine. Je suis pas certain que j'aurais aimé celle de patauger dans la gadoue qui ceinture la ferme Earnshaw des Hauts de Hurlevent. Déjà que l'ambiance est pas tip-top, quand le père ramène de ses pérégrinations un gamin qu'il a trouvé on ne sait où, elle devient carrément sinistre. Dans son adaptation du roman d'Emily Bronte, Andrea Arnold a misé sur le strict minimum, peu de mots entre les protagonistes mais une tension, une violence dans le geste, dans les regards, dans les images (la photographie est superbe), traduisant bien la passion de Heathcliff dans son amour impossible pour Catherine qui l'a protégé comme elle le pouvait face à la jalousie maladive de son frère.  

Moins de romantisme apparent chez Miguel Gomes même si le thème de Tabou est analogue. Un film en deux parties sobrement intitulées Le paradis perdu et le paradis, des premières minutes durant lesquelles le réalisateur dresse des barbelés destinés à prévenir contre toute incursion sentimentaliste. Pilar, quinquagénaire bigote est régulièrement emmerdée par Aurora, sa voisine qui perd un peu les oies. Elle et sa dame de vie mozambiquaine forment un drôle de couple, entre tendresse et vacherie. En peu de mots, on devine le passé d'Aurora dont on aura confirmation lorsque, à l’article de la mort, elle chargera Pilar de retrouver un certain Ventura...En optant pour le noir et blanc, les plans fixes et le parti pris narratif, Gomes s'évite la facilité de l’ostentation, laissant libre cours à ses acteurs de nous donner leur vision de la passion. On la suppose fiévreuse mais la réalisation hérmétique ne nous permet pas toujours d'en apprécier la teneur.

Celle du Lincoln de Spielberg l'est beaucoup moins. On pourra toujours pester contre cette manie du biopic, solution idéale quand on veut pas trop se casser la nénette à mettre sur pied un scénar original, mais les ricains sont imbattables dans le genre. Surtout quand il s'agit de se retourner sur leur histoire mouvementée. En s'attaquant à la personnalité de Lincoln le risque était important d'avoir une grande fresque épique ayant pour paysage principal le front de la Guerre de Sécession quand le nord abolitionniste et le sud esclavagiste se rentraient dans le lard. Au lieu de l'odeur du sang, c'est plutôt celle du renfermé que l'on retient. Une réalisation toute en retenue, presque un huis-clos tant les protagonistes ne mettent pas souvent le nez dehors. Spielberg fait la part belle au Lincoln en privé, gouvernant tout en essayant de défaire les nœuds psychologiques de sa femme et de son fils aîné, un président à la fois débonnaire et extrêmement calculateur, presque attachant si l'on jette un voile sur le fait qu'il a quand même envoyé au casse-pipe un bon paquet de jeunes yankees pour un résultat que les générations futures ont eu du mal à faire fructifier (lois Jim Crow). Daniel Day-Lewis est époustouflant de maîtrise et de justesse mais on regrettera tout de même le manque de dimension critique du réalisateur. Même si on ne l'attendait pas sur ce terrain-là, Spielberg oublie certaines choses en chemin comme le fait aussi qu'en gagnant cette guerre les yankees se donnaient la possibilité de faire main-basse également sur les riches terres du sud. Ca n'enlève rien à cet acte fondateur que constitue le 13th Amendement de la Constitution, ni à la sincérité du bonhomme, l'Histoire jugeant les faits et non les intentions.

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