Hubert Selby Jr - Retour à Brooklyn (1978)

Ils demandaient pas grand-chose finalement. N'avaient même pas la folie des grandeurs, ne prétendaient pas à quelque chose qu'ils savaient inaccessible. Juste ouvrir une galerie d'art et y couler des jours presque heureux lui (Harry), elle (Marion). Une histoire d'amour urbaine à petit budget, quoi. Mais pour Selby la vie est un cloaque répugnant où la fin est connue d'avance, où les rêves dépérissent jusqu'à ne devenir que de simples détritus enfouis au fond d'un hémisphère cérébral.
Retour à Brooklyn - titre beaucoup plus passe-partout et moins explicite que Requiem For a Dream - n'est pas autre chose. Quelques bribes de bonheur, de plénitude, subitement englouties par le torrent d'immondices de la vie. Profiter des premières pages au ton presque léger - Harry amenant la télé de sa mère au Mont-de-piété chaque fois qu'il a besoin d'argent pour sa dope, elle la rachetant parce qu'elle ne peut pas s'en passer, la rencontre entre Harry et Marion - parce que la suite ne sera pas la même. Ce rêve c'est aussi celui de la mère de Harry, invitée à participer à une émission de TV, devenant une star par anticipation dans son quartier et attendant vainement le jour et l'heure précis de sa convocation. Dans cet ouvrage postérieur à ses séjours en prison suite à sa consommation d'héro, l'addiction des personnages de Selby n'est pas anodine, qu'elle soit sous forme de drogue ou sous forme télévisuelle. Au-delà de ça, l'écrivain dresse surtout le portrait d'une portion de société et d'un animal qui n'a plus social comme épithète attitré, en total repli sur soi-même, où le sinistre est devenu la norme, où la solitude est devenu l'état le plus naturel - où chacun tente de blouser l'autre pour finalement se retrouver seul face à soi-même. Selby fait pourtant tout pour maintenir ses personnages à flot, leur faire conserver espoir, appliquant des cataplasmes sur les plaies mais l'infection est déjà dans les corps. La déchéance est inéluctable et le ton de l’œuvre ne laisse planer aucun doute. Le texte est cahotique en raison de la traduction en langage approximatif de la rue, mais le flow peut parfois devenir étouffant lorsque s'enchevêtrent les dialogues en raison d'une ponctuation aléatoire rendant la lecture toujours aussi délicate mais permettant une grande proximité avec les personnages. Percutant. 
   

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