Shooters # 10

On allait voir Alabama Monroe un peu les yeux fermés. On aurait dû les ouvrir. Pourtant, un groupe de country-music en pays wallon, ça avait de la gueule. On s'apprêtait à rencontrer les beaufs du coin au volant de pick-up décorés de la bannière étoilée, Stetson vissé sur le citron, tirant des coups de feu en l'air tout en hurlant et dansant le quadrille autour d'un feu de bois. En gros un groupe de locaux ayant préféré naître à Nashville plutôt qu'à Mouscron. Sur ce plan là, c'est en partie réussi, mais le tour de force de Felix Van Groeningen (La merditude des choses), est justement d'avoir montré que c'était tellement bien assumé par les protagonistes qu'il était difficile de se foutre d'eux. A plus forte raison quand le couple vedette, non content de perdre la prunelle de leurs yeux dans son combat contre le cancer, commence à se déchirer, sans possibilité de retour. C'est à peu près le seul intérêt du film qui, rapidement, tombe dans un académisme pénible, faisant de la surenchère dramatique là où l'on attendait finalement plus de pudeur. Rien ne manque, les regards amoureux échangés entre les deux tourtereaux sur scène, le baiser de fin de concert, la demande en mariage genou en terre après que Didier ait succombé à la gigue d'Elise, la chorale gospel lors de l'enterrement de Maybelle, tout se passant comme si Van Groeningen avait tenté de nous extorquer les larmes des yeux en prenant appui sur la mort forcément injuste d'une gamine de 7 ans.
Pendant ce temps Jérôme Le Maire fait du vrai cinéma. Caméra sur l'épaule, une fanfare, un paysage triste à mourir que les acteurs vont se charger d'embellir, de lui donner les couleurs de l'arc-en-ciel. Le scénario ? On verra en cours de route, pas de temps à perdre avec ça. L'histoire ce sont les acteurs qui la feront, grâce à leurs rencontres, leurs coups de gueule, leurs bitures, leurs états d'âme. Un objectif toutefois : arriver à Munster à temps pour le carnaval. Bizarrement, si durant les premières minutes on a l'impression de visionner un reportage  de France 3 Picardie, le film prend une toute autre dimension au fur et à mesure. Entraînés par Vincent, tour à tour amuseur, chauffeur de troupe, organisateur, les amis vont véritablement partir en quête d'eux mêmes. Certains y trouveront des confirmations, d'autres des révélations, ce Grand Tour prenant sans qu'on s'y attende un détour mystique et totalement mystérieux.
Mais le coup de force de cette fin d'année revient incontestablement à James Franco pour son adaptation de As I Lay Dying de W. Faulkner. Évitant les écueils d'une interprétation trop distante du bouquin et une fidélité excessive, Franco joue les équilibristes dans cette fresque dramatique qui vient s'achever dans le burlesque. Par ses images, l'utilisation du ralenti et du split-screen faisant apparaître le hors-champs, alternative réussie pour illustrer les multiples narrateurs de l'oeuvre originale (chroniquée ici), le casting impeccable (excellent Tim Blake Nelson et son incroyable dentition), il réussit à restituer le côté sordide de cette famille de Virginie minée par la pauvreté, les secrets de famille et les hypocrisies de chacun pour tirer la couverture à soi. 

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