J.D. Salinger - L'attrape-coeurs (1951)

L'attrape-cœurs est l'histoire d'un passage, presque un rite initiatique. Assumer ses choix, s'affranchir de la tutelle parentale, envoyer chier tout ce qui peut apparaître autoritaire et bridant pour nos aspirations. Après l'assurance vient le doute consécutif aux mauvaises expériences, pour finalement tomber dans le marasme le plus total avant la remise à plat des choses. Un mal nécessaire pour forger sa propre expérience et toucher du doigt ce que personne d'autre que soi ne peut toucher. 

Viré du collège pour des résultats calamiteux, Holden Caulfield va errer trois jours durant dans New York, accumulant des expériences que Salinger s'amuse à rendre pathétiques, presque risibles en totale contradiction avec ce que son héros souhaiterait laisser paraître. L'attrape-cœurs c'est l'obsession de la maturité sexuelle, inséparable du passage à la vie d'adulte qui va occuper l'essentiel de l'esprit de Holden Caulfield. Mais se faire plumer par Maurice, le mac de la belle de nuit ou accumuler les râteaux avec les filles du collège ne faisait pas partie de ses projets. Les cœurs gravitent autour de Caulfield mais il n'en attrape aucun. Parce que peut-être il joue à être un autre ou que le souvenir de son frère prématurément décédé l'oblige à adopter une posture dans laquelle il ne se reconnaît pas. Qu'il devra chercher son émancipation ailleurs ou la remettre à plus tard. Progressivement, au ton léger du départ succède une part plus obscure composée de davantage d’inhibitions et faisant de L'attrape-cœurs une œuvre infiniment plus touchante que ne le laissait présager la tendance très teen-movie des premières pages. Au caractère railleur et gouailleur, presque superficiel, affiché dès le début par le héros, Salinger substitue la face plus fragile, écorchée d'un pré-adulte pas encore très bien armé pour affronter un monde qui nécessite lucidité et qui se fout de ses délires romantiques. Après l'avènement des Selby, Bukowski ou autres Ellis, l’œuvre ne présente plus trop d'intérêt sur le plan subversif mais on se laisse toujours séduire par l'écriture toute en simplicité de Salinger, faite d'ironie mais très juste également lorsqu'il s'agit de décrire le mal-être d'un gamin.

Commentaires