JOURNAL DE BOLIVIE - Viajo seguro porque Cristo guia mi camino (I)

8/07/2019


Les conventions horaires internationales nous ont joué des tours à tel point que l'on se retrouve au pieu à 19h35 ce qui équivaudrait en France à se coucher avant le journal de Pujadas. Parti.e.s de Toulouse avec un bon 40°, l'arrivée à São Pãolo par 8° dans un aéroport old school n'est pas pour nous ragaillardir. On cherche l'endroit le plus chaud et il nous faut attendre 8h00 du matin pour que perce enfin un rayon de soleil dans lequel on laissera traîner les jambes. Le trajet vers Santa Cruz est enfin l’occasion de piquer un petit roupillon que des italiens hâbleurs nous sont sabotés depuis Francfort.
L'arrivée vers la ville se fait dans un truffi plein comme un œuf, délesté au fur et à mesure que les passagers demandent à s'arrêter. On se fait larguer sur le premier anneau ce qui nous laisse le loisir de remonter vers le centre-ville qui ne se trouve qu'à 500 m de là. Alicia, qui nous accueille dans son residencial Ikandire ("el despierto de una nueva vida", en guarani), n'a pas l'air de porter Morales dans son cœur, ce qui n'a rien d'étonnant étant donné que nous sommes dans une région plutôt à droite. Un "paro civico" est prévu pour le mardi contre sa volonté de s'accrocher au pouvoir alors que les électeurs veulent le foutre dehors, du moins c'est ce qu'en dit un référendum. Certains messages muraux laissent à penser que ce sont les capitalistes et les commerçants qui sont à l'origine de tout ça. 
Santa Cruz n'a rien de formidable mais en fouinant dans les rues, on découvre une ville avec un cachet particulier, pas aguichante pour deux sous, mais qui dispose d'un jardin secret à rechercher dans les patios et certains couverts de la ville. Le pays fait face à une fronde sociale grimpante si l'on en croit les nombreux militaires qui traînent dans les rues, fusil à pompe en main, ainsi qu'à l'entrée des banques. Petits vendeurs pullulent autour de la place du 24 septembre, certains ayant dépassé l'âge de la retraite qu'on connait en Europe.


 

9/07/2019

Aujourd'hui, c'est jour de grève à Santa Cruz. Pas une boutique ouverte dans le bled dont les rues sont livrées au bonheur des piétons et des vélos. Le gros de la manif a lieu au Cristo, ce qui nous pousse à explorer les extérieurs du premier anneau. Vers le marché del pozo règne un semblant d'activité mais loin d'être celle qui a lieu habituellement. Des Mennonites errent comme des âmes en peine dans les rues. Une fois par semaine, ils viennent en ville vendre le produit de leur récolte afin de faire vivre la communauté. Les populations n'ont pas trop l'air de se mélanger, hormis deux d'entre eux qui observent une partie de cartes, tuant le temps car aujourd'hui ils ne pourront rien vendre. 

On avait prévu de partir vers Samaipata. L'arrêt de bus se situe dans le quartier du stade Ramon Aguilera. L'environnement a l'air un peu délétère si on en juge par les barbelés qui surplombent toutes les clôtures des résidences. L'artère perpendiculaire est le lieu de rassemblement des tox de la ville qui sniffent la glu en journée. On attend un peu que l'agence de bus ouvre sans trop y croire. Au bout d'une heure on tente notre chance ailleurs.

On prend la direction de Samaipata au sud. Durant tout le trajet, on rencontre les divers blocages qui obstruent les entrées de la ville. L'ambiance est bon enfant mais les gars sont impitoyables avec les voitures qui essaient d'entrer. Un couple avec un gamine fait un bout de chemin avec nous mais nous lâche avant le quatrième anneau. C'est là qu'on trouve notre bonheur dans un micro qui attend la levée du paro pour tracer vers Samaipata. Après 120 km de route mi-asphalte, mi-sentier, on parvient au village.

10/07/2019

Samaipata est un petit bled dans le parc d'Amboro. Hippies, évangélistes, veganeries et localisme s'y côtoient en bonne intelligence. C'est aussi le point de départ d'un tas d’excursion aux alentours. Celle d'el Fuerte a notre priorité, un vieux site pré-inca/inca où habitat et loges religieuses ont été littéralement taillées dans la roche (un jaguar, mais aussi ce qu'ils appellent el dorso del serpiente)*. Le site est incroyable et la ballade somptueuse d'autant plus que nous sommes quasiment seul.e.s. Alfredo nous attend à l'ombre, appuyé sur sa voiture. Au retour, on achète un sac de coca en prévision de la montée vers Sucre le soir. Entre 6 et 7h de route pour 400 km, la nuit s'annonce chaotique. En attendant, on va glandouiller sur la place de Samaipata, en plein cœur du village.

* Apparemment le cascabel, une sorte de crotale.  

Le kit altitude
 
L'entrée de la pension à Samaipata


El fuerte



11/07/2019

On connait Samaipata par coeur. Le fait d'être resté nous a permis de converser tranquilou avec les personnes du coin pour apprendre que Samaipata voulait dire "refuge" en quechua, car c'est là que les derniers Incas se sont retrouvés avant leur extinction. Le soir on mange dans une gargotte qui sert de la soupe. Les gens sont moins causant, se demandant ce que viennent faire deux européens en vadrouille dans leur troquet.

Initialement prévu à 21.00, on attendra le bus pour Sucre jusqu'à 23.00. Le petit restau qui nous sert d'arrêt prend subitement des allures de terminal quand 4 mastodontes de la route viennent se caler devant. Aucun ne nous est destiné pour le moment nous signale le vieil homme chargé de leur réception qui ne s'arrête pas de trottiner à droite et à gauche.

La route pour Sucre est un chaos indescriptible et on se demande comment fait notre bus à deux étages pour ne pas se foutre dans le fossé. On est secoués comme des tarés mais les camas sont assez confortables. Un courant d'air nous cisaille les os et mon polaire est une maigre consolation pour nos deux paires de jambes. Après quatre heures de route, Céline fait le pet devant le chauffeur pour qu'il s'arrête. Tout le monde s'égaille dans la pampa pour aller pisser avant de reprendre le trajet.



Dans le bus cama


12/07/2019

Sucre est une ville-musée. On a la tête un peu dans le cul après notre nuit mais l'enthousiasme de visiter prend le dessus. La ville est assez bourgeoise et la journée va s'écouler entre la Casa de la libertad où a été signée l'indépendance de la Bolivie, le superbe couvent de Santa Clara et le point de vue de San Francisco de Neri qui offre un panorama incroyable sur la ville. Le midi on s'offre un repas au mercado central où toutes les donas ont des échoppes où manger pour 20 bols. 

13/07/2019

Si Sucre, à l'est du pays, a l'air d'être contre la candidature de Moralès, en revanche la région de Potosi semble lui offrir son soutien, en témoignent les nombreux graffs qui ornent la route jusqu'à la ville minière : Evo. 20.25. Le chemin est incroyable, on file entre les montagnes, arrêtés parfois par des péages seulement matérialisés par des cordes. Le chauffeur doit alors s'acquitter d'une taxe. La Bolivie, c'est quand même une grosse part de débrouille et tu trouveras toujours quelqu'un pour te vendre ce que tu cherches. Le truffi qu'on a pris depuis Sucre a l'air complet mais le véhicule s'arrête quand même pour prendre une personne en plus qui viendra trôner sur le siège de fortune entre le conducteur et son passager de droite. Les stations essence n'affichent jamais les prix mais en lorgnant bien la pompe à laquelle on s'arrête pour faire le plein, j'en déduis que le litre est à 0.46 €. 
A Potosi, on est accueilli par des cabots.




14/07/2019

La migraine et le mal de l’altitude nous clouent au pieu pour la matinée. Une douche  bouillante nous revigore de cette première nuit à 4000 m. Potosi est moins superficielle que Sucre, ça grouille moins de gens mais on s'en prend toujours plein le nez côté pots d'échappement. La ville brille d'une richesse perdue, visible derrière certaines façades qui tombent en misère comme celle du télégrafo. La vrai richesse c'est celle du cerro rico qui domine la vallée à 4700 m et où des générations de mineurs ont extrait l'argent faisant de Potosi le 1er fournisseur mondial en la matière et des boliviens, des vieillards à 35 ans. 
On mange dans une gargotte pour 12 bols à midi. Il n'est pas rare que les maisons ouvrent leur salon sur la rue pour servir à bouffer leur plat à qui en veut pour trois brouzoufs. On finit la nuit au bout de la calle Sucre où se tient un marché clandé avant de revenir chercher nos frusques qu'on a laissé à la blanchisserie mais dans laquelle on restera une heure. Le but du jeu de la boutique est de chercher avec les clients les vêtements laissés car les marques faites ne permettent pas de les reconnaître. Un vieux bolivien y cherchera son jean pendant une heure, en vain.

14/07/2019

Une matinée passée à courir après les monuments ouverts car c'est dimanche. On tombe sur un énième marché qui nous amène presque au bas de la ville. La rue propose des boutiques de pharmacopées ésotériques, à base de poils de lama, de couilles d'hirondelles, de plantes pour l'érection et les bilieux. Un petit déjeuner à l'étage du mercado chez Dona Adela qui, comme les autres, se demande ce que viennent foutre deux européens à sa table, et c'est reparti. L'altitude nous fait toujours marcher au radar mais on arrive à faire des choses. Potosi est une ville ouvrière qui a du mal à se livrer. Il faut aller fouiller dans tout ce fatras de rues pour y trouver une âme qui, évidemment, ne se trouve pas spécialement dans l'ancienne ville espagnole qui affiche les oripeaux d'une aristocratie mort-vivante,mais dans les quartiers miniers, anciennement dénommés "indigènes", affalés sur les pentes du Cerro Rico. Les enfants et les chiens s'y ébattent joyeusement et beaucoup d'entre eux ont toujours un mot gentil ou un sourire à nous proposer, pas que de l'étonnement. Comme si c'était raccord, on termine par la visite du carmel de Santa Clara, symbole de la richesse espagnole, désormais vaisseau en perdition. 21 places réservées à la bourgeoisie de la ville espagnole, celle capable de refiler une dot de 2000 pièces or ou équivalent pour y cloîtrer la seconde née de la famille. Revers de la médaille, lorsqu'il s'agit de terrains, les couvents devaient s'acquitter des impôts ce qui a contribué à plomber progressivement leurs finances. 

Comme c'est dimanche, pas mal de trucs sont fermés mais on arrive à temps avant de prendre le bus pour Tupiza. Le nouveau terminal a belle gueule et on passe un bon moment à discuter avec une vieille dame, sa fille et sa petite-fille chargées comme c'est pas permis en direction de la Paz.  Le voyage est pépère, moins long que prévu puisque on touche au but vers 2.30 du matin. Ne sachant pas où se trouve l'hôtel, on prend un taxi qui nous amène simplement une rue plus loin. On réveille un pauvre gamin qui dormait dans le salon d'accueil de l'hôtel et on se couche dans le chaud et une literie divine.

PS : A Potosi, une petite assemblée d'une centaine de personnes attendait devant le siège du gouvernement central. En fait c'était Evo Morales qui faisait une petit visite.

15/07/2019

Arrivés dans la nuit à Tupiza, on se presse pas trop pour se lever. On a gagné quelques degrés par rapport à Potosi et le moral s'en ressent. On a quitté les bonnets pour la casquette et la balade sous le ciel bleu bolivien fait un bien fou. Ici tout semble apaisé. Un petit tour dans le marché central, quelques jus d'orange plus tard et on part en expédition autour du bled avec Julio. Des décors incroyables, à peine à quelques kilomètres de la ville. Des montagnes de toutes les couleurs au pied desquelles coulent le San Juan de oro dans lequel on se retrouve enlisé en milieu de parcours. L'eau est à nos pieds dans la voiture et Céline passe par le toit ouvrant. J'attend dans la voiture l'arrivée du tracteur d'Eric qui zonait dans le coin pour m'extirper de ce bourbier. 
Le chemin est fréquenté par des camions, véhicules en tout genre venant de bleds perdus au milieu de la pampa : Quebrada seca, Palquiza...petit à petit abandonnés par leurs habitants qui partent chercher du blé en Argentine, toute proche. Julio y a passé une année pour apprendre à dresser des chevaux et leur apporter les premiers soins. On continue la ballade au son de Twisted Sister et Black Sabbath qui résonne dans le canyon del Inca ou près de la puerta del diablo, site rituel inca où la légende voulait que l'on pratiquât le sacrifice des personnes malades. Tous portent plus ou moins le nom d'un personnage maléfique légendaire mais qui raccorde bien avec ce paysage hostile.


Planté.e.s au milieu du gué.



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