En vrac...

 On peut être taillé comme un apollon et vouloir garder sa virginité pour l'amour véritable. A plus de vingt ans, Rock Bailey tente de réfréner ses envies et de freiner celles qu'il suscite chez les nanas. Jusqu'au jour où il est dépucelé de force par de drôles de pèlerins, partisans de jolis minois et dont l'objectif principal est de créer une espèce humaine de laquelle tous les moches seront bannis. Les plus beaux spécimens masculins/féminins de Californie sont enlevés et forcés à copuler pour donner naissance à des spécimens encore plus beaux. Un élevage, en somme. Paru en 1948 sous le nom de Vernon Sullivan, Et on tuera tous les affreux est le troisième roman de la période américaine de Vian. Ouvrage d'anticipation dans la bonne vieille tradition de Wells, la gravité du propos (l'eugénisme) est largement tempéré par le style d'écriture léger et comique, au final plus proche de San Antonio et des romans de gare traditionnels. Mais n'est pas Frédéric Dard qui veut et Vian peine à nous intéresser aux aventures de Bailey et de ces agents du FBI. Une œuvre sans trop d'imagination dont le divin Boris aurait pu se passer. 
Pas le nez creux non plus avec Abattoir 5, où se confondent la réalité et la fiction. Parce que c'est aussi l'histoire de Vonnegut et que ce ne sont pas les ajustements dignes de la SF old-school qui changeront quoi que ce soit à l'histoire ou ne la rendront pas moins véridique. En se faisant enlever par les Tralfamadoriens, Billy Pellerin obtenait le don de divination, petite combine littéraire permettant à l'auteur de justifier de fréquents allers-retours dans le temps, avant ou après le second conflit mondial. Et après ? Ben pas grand-chose justement hormis le fait que tout tourne autour du bombardement de Dresde par les alliés, que celui-ci a fait plus de victimes que celui d'Hiroshima. On a droit à une histoire plan-plan, traité sur un mode ironique où Pellerin passe auprès de sa fille pour timbré du fait de ses délires prophétiques ce qui, il est vrai, permet de dédramatiser la tension tournant autour de ce fait de guerre, mais qui en revanche n'aide pas véritablement à prendre cette histoire au sérieux et ne décollant presque jamais.

On se consolera presque avec le best seller de Ruiz Zafon. L'amnistie de 1977 ayant soldé tous les comptes du franquisme sans même que les opposants y aient trouvé à redire, l'espoir de voir devant un tribunal pénal quelques barbons ayant pris une part active au régime s'amenuise au fil du temps. Ne restent que la littérature et l'Histoire pour régler les affaires. Carlos Ruiz Zafon en a fait un cycle de bouquins dont Le prisonnier du silence. Pour Fermin, le passé resurgit lorsqu'un bien curieux personnage de passage à la boutique lui rappelle son évasion de la prison de Montjuic. A partir de là, Ruiz Zafon nous entraîne dans les bas-fonds du régime, son cortège funèbre et ses règlements de compte expéditifs.  C'est simple, sobre, y'a pas de publicité cachée, ça se lit vite et bien. 
Un peu comme le Rue des boutiques obscures de Modiano où le détective Rolland part à la recherche de son passé, un passé qui n'existe que dans les souvenirs qu'il arrivera à glaner chez des personnes qui jadis ont été ses compagnons. Tout se joue justement sur ce doute dont on arrivera pas à se débarrasser, celui de savoir si Rolland retrouve véritablement sa mémoire, ou bien s'il tente de se convaincre que ce sont les siens en se projetant dans  des situations qu'il aurait pu/dû vivre.

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