La vie devant soi - Romain Gary (1975)

Une histoire d'amour dans un territoire presque occupé aurait pu dire Bedos. Le territoire occupé c'est cet appartement parisien où Madame Rosa veille tendrement sur les gamins des putes du coin pendant qu'elles exercent leur ministère. Certains sont récupérés le soir, d'autres non. Mohammed est de ceux-là. La dizaine bien tapée il entretient avec Mme Rosa ce qu'il ne peut plus avoir avec sa mère qu'il continue à attendre en espérant qu'elle donne un jour signe de vie. Cette relation va devenir de plus en plus étroite lorsqu'elle va tomber malade et deviendra totalement dépendante.
Ecrit en 1975 sous le pseudonyme d'Emile Ajar, La vie devant soi possède encore, presque quarante ans après, une fraîcheur inégalable. Cette fraîcheur c'est le monde vu à travers les yeux de Momo, gamin espiègle, très vite jeté dans le monde des adultes, un monde qu'il ne comprend pas toujours mais qu'il essaie d'expliquer avec ses mots à lui. Pour coller le plus possible à la réalité, Gary s'impose une écriture simple, enfantine, matinée d'incorrections qui, en plus de ne présenter aucun souci pour la compréhension, rendent le gamin encore plus attachant. Au-delà de cette histoire d'amour, l'écrivain fait le deuil d'un monde presque angélique qu'il a peut-être côtoyé, où les différences ne sont pas un frein à la rencontre de l'autre, où tout le monde se mobilise lorsqu'il faut prendre en charge la juive Rosa qui ne peut plus mettre un pied devant l'autre. Momo, quant à lui, essaie de se construire au milieu de tout ça, au chevet de Rosa qui a connu l'horreur des camps de concentration et qui conserve sous son lit le portrait de Hitler pour les jours de blues, mais également avec Monsieur Hamill, le vieil arabe, presque aveugle et perdant les oies, le travesti Madame Lola, le docteur Katz. Il grandira bien vite jusqu'à prendre quatre ans en quelques minutes, s'appropriant les responsabilités que la situation et son amour pour sa mère adoptive lui incombent. 

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